Recueil d'une allumée au feu de bois

Recueil d'une allumée au feu de bois

Lisa ou la solitude

  La porte s'ouvrit comme un bruit de glaçons que l'on renverse dans un verre. Le petit bonhomme entra, claqua la porte : puis il enleva sa petite écharpe, son petit manteau, jeta le tout on ne sait où et glissa dans son tout petit fauteuil avant de se servir un immense verre d'eau. Il hurla à la souris dans son trou que le ménage n'était pas encore fait, qu'il n'aurait plus qu'à retourner au travail le temps qu'elle s'exécute et que la poussière n'avait pas intérêt à être encore là quand il se déciderait à rentrer pour de bon. Il était seul avec sa solitude : il comprenait bien que la solitude n'était pas une personne en soi à qui l'on pouvait parler et crier des ordres. Pourtant, il essayait.

Trois jours plus tard, alors que le temps était passé de manière fulgurante mais ennuyeuse pour tout le monde, notre petit monsieur était toujours affalé dans son fauteuil minuscule, grand verre d'eau à la main, grand paquet de fierté à la tête. Le laps de temps qui s'était écoulé depuis le dernier paragraphe ne semblait même pas avoir existé. Ou même mieux : il semblait s'être étiré en langueur, étirant ainsi avec lui tout ce qui était (le lit, la table à manger, la fameuse porte, le paillasson, la triste figure des gens qui traversaient sa rue, le ventre de ces même gens, la nuit noire de l'hiver). Dans sa petite tête pleine de suffisance ne lui venait qu'une seule chose : qu'allait-il pouvoir faire par la suite ? Et voilà pourquoi il avait fini par laisser s'entasser la poussière autour de lui et qu'il avait cessé d'hurler après sa solitude. La seule compagne de sa vie.

Cette solitude, qu'il avait commencé par nommer 'Lisa', était pleine de couleurs. Lisa rayonnait comme une petite fille à qui l'on offre des fleurs, une jeune femme à qui offre un bague de fiançailles, une vieille femme à qui l'on offre une seconde vie.  Il aurait bien construit sa vie auprès d'elle, comme tous les hommes autour de lui le font avec une jolie fille : ils se rencontrent, se font des câlins, puis s'assemblent aux yeux de la loi, et enfin aux yeux de celui dont on n'a jamais de nouvelles, et enfin faisaient plein de nourrissons qui grandiraient et trouveraient quelqu'un à leur tour. Mais voilà comment s'était déroulé l'histoire de notre petit bonhomme et de Lisa : alors que sa maman l'avait pour la énième fois oublié dans son parc (le monsieur était si petit lorsqu'il était jeune qu'il arrivait qu'on l'oublia plusieurs fois par jour), une entité apparue près du bébé. Elle n'était visible que du jeune monsieur en couche culotte. Il ne se souvient plus trop comment elle était précisément à cette époque : il se souvient uniquement de la vive lumière qui émanait d'elle. Voilà tout. Et puis elle revint toute les fois où sa maman l'abandonnait à son triste sort : Lisa était là à lui tenir la main quand il a fait son entrée à l'école maternelle, elle se tenait à ses côtés quand personne ne voulait jouer avec lui à la récréation. Elle ne parlait pas : elle l'écoutait, simplement, et se contentait de hocher la tête par moment.



13/01/2014
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