Recueil d'une allumée au feu de bois

Recueil d'une allumée au feu de bois

Tout le monde a un fou dans sa manche

« Chacun a un brin de folie dissimulé souvent dans sa jeunesse, ou bien dans l'avenir, parfois dans le présent...

 

'' Sibylle,
74 ans, est allongée dans son lit d'hôpital. Tout lui paraît
faux : les murs, les gens, ce qui lui arrive. Même cette phrase
« Sibylle, 74 ans, est allongée dans son lit d'hôpital »
est  fausse : elle fêtera son prochain anniversaire en octobre
et sait d'avance qu'elle ne le verra pas. Elle n'est pas tout à fait
allongée, mais mi-assise, dans un lit qu'elle espère n'être jamais
le sien.  Et elle n'est même pas dans un hôpital : c'est une
clinique privée, spécialisée dans l'oncologiec contre le cens ».
Elle ne mange plus, le monstre au corps l'en empêche ; elle
n'entend pas elle n'a jamais entendu ; elle ne voit presque
plus : elle délimite des contours de visages qu'elle ne
reconnaît pas. Elle sourit en imaginant que ce sont des personnes
qu'elle aime. Elle pense. Elle ne peut faire que cela maintenant :
penser et repenser à sa vie qui est aujourd'hui toute passée. Elle
fixe le mur et se plonge dans ses souvenirs...

 

Sibylle, 17
ans, est allongée sur une botte de foin, dans un champ voisin d'une
amie. Sa copine et elle rêvent à leur soirée, et plus généralement
à leur vie. Elles ont les bras croisés derrière la tête et
regardent le ciel. C'est ici que l'on se rend vraiment compte de
l'arrondi de notre planète bleue. L'idée les réjouit et arrondit
un peu plus leurs espoirs. L'heure est maintenant arrivée de partir.
Elles ont deux heures libres pour se pomponner à la perfection.

Mais voilà
qu'en se levant, elles sont recouvertes de paille qui les pique
jusque sous le genou ! Bien décidées à se débarrasser de cet
inopportun pour faire les folles sur la piste de danse, elles se
triturent les cheveux comme pour enlever des poux. L'entreprise
visant à éjecter tout le foin étant vouée à l'échec, elles se
font une raison, s'enhardissent et se roulent de bon cœur dans le
champ. Au diable les fêtes et bonjour les joies folles en bonne
compagnie !

C'est ainsi
qu'elles passèrent toute la fin de journée jusqu'à l'infime rayon
de soleil à parcourir la campagne environnante, nus pieds, prenant
le risque d'une mauvaise rencontre avec quelque agriculteur défendant
fièrement son bien. Quand elles ne purent plus distinguer un serpent
d'un morceau de bois, elles rentrèrent par les routes en chantant à
tue-tête quelques chansons paillardes et d'autres chansons plus
enfantines, réveillant les bonnes maisonnées et leurs habitants...

 

C'est sur
ce souvenir que Sibylle, 73 ans, mourut à moitié assise dans un lit
qui fut finalement le sien dans une clinique privée, spécialisée
en oncologie... ''

 

''Anthelme
est au chômage. Cela ne veut pas dire qu'il ne sait rien faire, non.
Il est juste passionné par ce qu'il ne faut pas à son époque,
c'est-à-dire par ce qui est considéré d'inexploitable. La
science-fiction, quand Anthelme a 45 ans, ne rapporte pas. Et
pourtant il en connaît un rayon : c'est pourquoi il a essayé
de faire carrière dans la vente de bicyclettes. Il pouvait
conseiller et réparer l'objet tout en enseignant son art hors du
commun aux clients qui pourraient l'expatrier. Cela fonctionnait de
temps en temps : un jour, il a réussit à convaincre un homme
de faire un scénario de film d'une de ses histoires ! Il est
même sorti en courant de sa boutique tant l'idée l'excitait !
En prenant du recul, Anthelme se dit que l'homme avait accepté tout
ce qu'il désirait juste pour se libérer de ses griffes assaillantes
et sortir plus vite. Oui, c'est sans doute ça, puisqu'il n'a jamais
eu de nouvelles.

Il
est vrai qu'en premier lieu, son idée de vendre des vélos et de
parler de science-fiction en même temps s'avéra ce que l'on appelle
une bonne idée. Hélas ! Les clients, très vite, furent moins
nombreux, préférant acheter un moyen de locomotion plus rapide.
Anthelme ferma boutique et se retrouva au début de notre histoire.

Anthelme
est au chômage. Il n'a bientôt plus de logement et il est
désespéré. Alors il erre dans la ville à la recherche d'une
solution. D'autres diraient qu'il flâne. Peu importe. Il est fichu
et se voit déjà en train de mourir au coin d'une rue...

 

Anthelme
sera acclamé. En passant devant une devanture de télévisions qui
diffuseront des films récents, il s'assiéra sur la boîte en carton
qu'il promènera tout le temps avec lui, pour regarder le programme
que proposera le magasin, privilège qu'il n'aura pas goûté depuis
longtemps. Quelques minutes de visionnage de ce « Dune »
suffiront pour Anthelme : ce sera la réplique exacte de son
histoire, racontée à ce bonhomme partit si vite de sa boutique !
Fâché mais heureux de son propre succès, il se décidera
d'attaquer le voleur en justice, réclamant les droits d'auteur.
Anthelme gagnera ce procès, fier, comme se doit de l'être le
lanceur de la science-fiction. Il sera riche. Si riche qu'il
s'autorisera son rêve le plus fou : tourner une publicité de
science-fiction mais avec de mauvais effets spéciaux.

C'est
un lundi matin qu'Anthelme rentrera dans un costume en Vicra vert
moitié crocodile, moitié lapin, et jouera dans un monde utopique
pour vanter les bienfaits de l'imagination. Publicité qui passera
entre autres dans la boutique de télévisions où il découvrit son
succès. Anthelme passera toute l'après-midi à déambuler
joyeusement dans la même ville où il mendiait, à sauter dans son
costume en plastique vert...''

 

''Anna
est une jolie blonde. Normal avec ses origines russes :
pourtant, elle n'est jamais allée dans ce beau pays qui est si
proche d'elle.

Anna
lit, tout le temps : les panneaux publicitaires, les journaux,
les paquets de céréales, les commentaires au dos des photos, le nom
sur les pierres tombales, son courrier, ses livres, d'autres livres.

Anna
aime être chic : elle n'aime pas impressionner ses amis mais
elle apprécie qu'on la regarde, ne serait-ce que du coin de l’œil,
et qu'on lui fasse des compliments dans le creux de l'oreille.

Anna
écrit à ses amis : elle leur raconte des bêtises, sa vie
parfois. De temps en temps, elle reçoit des réponses.

Anna
aime la vie : elle est courte et belle.

 

Aujourd'hui,
Anna ne sait pas quoi faire. Elle divague, tombe dans les rues, se
redresse dans les boutiques.

Aujourd'hui,
Anna sait exactement ce qu'elle veut faire : elle en rêve
depuis longtemps et cette nuit, elle y a pensé. Alors c'est décidé,
c'est pour aujourd'hui.

Le
ciel est gris mais il illumine, éblouit tout ce qui se trouve
dessous lui. Anna marche en croisant les jambes, comme ayant
ingurgité quelque substance hallucinogène. Ou bien prise par un
élan de mannequin.

Anna
se met en spectacle aujourd'hui, parce qu'elle sait qu'elle aura
besoin de se dédoubler. Elle marche donc, dans une brume électrique
tout à fait imaginaire. Elle croise un garçon, un cadet. Elle le
couve avec un regard maternel d'un œil, un regard d'amant de
l'autre. Elle se sent le devoir de le protéger et de l'entourer.
Cette image n'a pas de couleur, juste des sons. Des soupirs de
soulagement. Des brides de conversation aux alentours. Anna enlace
son cadet. Ils se retrouvent tous les deux dans le noir, réunis,
sous leurs paupières closes. Anna peut enfin avouer sa folie d'aimer
ce cadet. Le cadet ne la remerciera jamais assez d'avoir enfin brisé
ce rang qui fait de lui un cadet, et elle un aînée.'' »

 



27/01/2013
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